Éditions GOPE, 240 pages, 13x19 cm, 17.85 €, ISBN 978‐2‐9535538‐8‐8

mardi 26 février 2013

Entre ombre et lumière, entre réalité et cauchemar




Alors que les éditions Asphalte ont ouvert la voie des recueils de nouvelles centrées sur de grandes villes mondiales, les éditions GOPE complètent la collection avec ce Bangkok noir.

Autant en emporte l’Orient de John Burdett : Le narrateur, après avoir découvert le journal de l’oncle Walter, sorte de brebis galeuse de la famille, va s’installer en Thaïlande et découvrir les légendes spirituelles de ce pays.

L’inspecteur Zhang et le meurtre du gangster thaï de Stephen Leather : L’inspecteur Zhang et le sergent Lee de la police de Singapour vont en Thaïlande pour ramener un prisonnier. A l’atterrissage, un passager est mort assassiné. Vraisemblablement, il a été tué un quart d’heure avant l’arrêt de l’appareil. L’inspecteur Zhang va devoir résoudre ce mystère.

Mille et une nuits de Pico Iyer : Après la perte de sa femme, le narrateur va quitter l’Angleterre, et se rendre en Thaïlande. Il va se perdre dans le Bangkok nocturne, pour mieux se retrouver.

Crâne-coupé de Colin Cotterill : Samart Wichaiwong est plus connu sous le nom de professeur Wong. Sa profession de devin a fait sa renommée. La police va lui demander de l’aide dans une affaire qui va lui rappeler son statut de charlatan.

Dauphins S.A de Christopher G.Moore : Entre réalité et jeux vidéo virtuels, Chinapat, un jeune Thaïlandais au crâne rasé joue au tueur à gages et est engagé pour assassiner Tanaka, une activiste qui lutte contre le massacre des dauphins par les Japonais.

Une femme libérée de Tew Bunnag : Phi Nok, un jeune homme, rencontre son amie Nong Maew, jeune femme entretenue par un riche industriel, Khun Taworn. Dans un centre commercial, ils se croisent sur un escalator, et Phi Nok reconnaît en l’industriel son ancien amour, qu’il avait rencontré dans un bar.

Hansum man de Timothy Hallinan : Un ancien du Vietnam exilé à Bangkok. Un matin, mal réveillé, il part à la recherche de la femme avec qui il a vécu, Jah. Mais il ne fait pas bon se perdre dans les bas-fonds de Bangkok.

Le jour s’est levé d'Alex Kerr : Un jeune homme est assassiné, poignardé dans le métro aérien de Bangkok. Le narrateur, journaliste pour un quotidien new-yorkais, reçoit un appel de son rédacteur en chef : il a 24 heures pour enquêter sur cette affaire que la police a bâclée sans trouver le coupable.

La mort d’une légende de Dean Barrett : Deux tueurs à gages, un ancien et un débutant, se retrouvent dans l’appartement de leur future victime, la légende inégalée des assassins, le plus connu des tueurs. Un huis clos amusant et plein de rebondissements.

L’épée de Vasit Dejkunjorn : Vie et mort d’un inspecteur corrompu.

Bras de fer autour d’une glacière d'Éric Stone : Comment un journaliste économique, qui a l’habitude de manger sa soupe de poisson auprès d’une vendeuse ambulante, assiste à la résolution du vol de sa glacière contenant son poisson de façon tout à fait non violente.

Canicule mortelle de Collin Piprell : La journée de Chaï, un tueur, permet de décrire la vie des Thaïlandais de l’intérieur.

Ce recueil de nouvelles montre un certain nombre de facettes de cette ville de Thaïlande, entre ombre et lumière, entre réalité et cauchemar, entre sentiments et virtualité. Chaque nouvelle comporte sa propre identité, allant de la poésie pure à l’enquête policière classique à la façon de la Grande Mme Agatha Christie. C’est surtout la spiritualité, les croyances, les esprits omniprésents qui donnent à ce roman ce charme si discret et cette tonalité typiquement asiatique. Et même si comme dans tout recueil de nouvelles, le lecteur aura ses préférées, ne ratez en aucun cas les nouvelles de John Burdett, de Pico Iyer, d'Éric Stone. Ainsi que la cruauté de l’auteur thaïlandais Tew Bunnag.

Pierre Faverolle, le 12 septembre 2012
http://black-novel.over-blog.com/article-bangkok-noir-recueil-de-nouvelles-editions-gope-109438005.html

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Black Novel : Le blog de Pierre Faverolle
Description : Ce blog a pour unique but de faire partager mes critiques de livres qui sont essentiellement des polars et romans noirs. Pour me contacter : pierre.faverolle[at]gmail.com

mercredi 13 février 2013

Une anthologie de très, très bonne facture



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Il faut d'abord rendre hommage aux éditions GOPE qui ont pris le pari de traduire cette anthologie, à l'heure où la nouvelle est peu prisée (que c'est triste !) par le public francophone et qu'en dehors de John Burdett (Bangkok 8), l'ensemble des auteurs de ce recueil sont inconnus de ce côté de l'Atlantique. Pourtant, tous ont une vraie notoriété ailleurs (au Canada, en Angleterre et bien sûr en Thaïlande). C'est donc pour chacun d'entre nous la possibilité de découvrir ces auteurs peu ou pas traduits du tout en dehors des nouvelles de Bangkok Noir. Voilà déjà un premier atout.
Le deuxième, c'est une passionnante introduction (dont un passage constitue la quatrième de couverture) de Christopher G. Moore qui dirige cette anthologie. Il est canadien mais vit depuis vingt ans à Bangkok. Il a notamment créé un personnage récurrent, Vincent Calvino, détective privé américain basé en Thaïlande. Une vingtaine de titres ont déjà été publiés, un seul traduit en France (Zéro heure à Phnom Penh). Dans son édito, il nous dévoile ce que « le noir » signifie pour lui. Il y met des variantes qui peuvent nous éloigner du pur hard-boiled américain ou du roman noir français tel que nous les percevons.

Il ne faut donc pas s'étonner si la première nouvelle, Autant en emporte l'Orient, est un texte fantastique qui raconte une histoire d'amour surnaturelle sur fond d'arrangements mafieux. Ce n'est pas celle que j'ai préférée et je ne l'aurai pas placée en ouverture en raison justement de cette interprétation inattendue du « noir ». Toutefois elle pose dès le départ un de ces paradoxes asiatiques courants qui oppose modernisme et croyances ancestrales.

La seconde, L'inspecteur Zhang et le meurtre du gangster thaï, propose une énigme façon « meurtre en chambre close » mais version Boeing 777. Une petit régal de déduction, même si cette histoire aurait pu se passer n'importe où.

La première histoire vraiment touchante et de plus une vraie représentation du Bangkok d'aujourd'hui s'intitule Mille et une nuits et propose une errance dans le Bangkok by night, avec ses néons, ses bars, ses rabatteurs, ses transsexuels.

Crâne-coupé est une de mes préférées : un shaman charlatan se fait arnaquer par la fille de ses cauchemars. Une nouvelle fantastique et horrifique, digne des Contes de la Crypte ou de Hitchcock raconte… et qui, d'une certaine manière, ne manque pas d'humour.

Étonnamment, j'ai eu du mal à suivre la nouvelle de Moore, Dauphins S.A, où deux jeunes geeks plongés dans leur réalité virtuelle jouent les écoterroristes. Elle est dans sa forme totalement du ressort de la science-fiction et pourrait dérouter quelques lecteurs 100 % polar, néanmoins là encore elle traduit le malaise d'une société accédant à une technologie qui pourrait un jour la dépasser. Le sujet de fond, l'écologie et la protection de l'écosystème face à la convoitise japonaise, est évidemment tout à fait d'actualité.

Une femme libérée traite de chantage, d'infidélité, d'homosexualité, d'arnaque et de vengeance… et surtout du besoin de liberté des femmes enfermées dans le carcan de la maîtresse attitrée. Un cocktail explosif même si la fin reste un peu… floue.

La deuxième nouvelle émouvante et qui soit selon moi une des meilleures, est sans détour, Hansum Man. Un vétéran du Vietnam, installé à Bangkok, alcoolique et aux limites de la sénilité, découvre que « sa » Thaïlande a bien changé. Un texte fort, empreint de nostalgie, violent par les actes mais aussi par l'émotion qu'il provoque.

Le jour s'est levé tient presque plus du pamphlet. Un journaliste américain enquêtant sur un meurtre se heurte au silence des témoins.

Suit la nouvelle La mort d'une légende, qui, bien que bien écrite, aurait, elle aussi, pu se passer ailleurs. Deux tueurs à gages ont pour contrat d'assassiner un de leur confrère, une légende dans le milieu. Ce texte a ce côté intemporel qui le place à la limite du hors sujet mais il reste très sympa à lire.

L'épée traite de la corruption au sein de la police et est une des rares nouvelles à « chute » du recueil. Son final fantastique laisse à penser que la rédemption n'est pas au goût du jour pour notre flic véreux.

Une autre nouvelle assez drôle, Bras de fer autour d'une glacière, nous emmène dans un grand restaurant de Bangkok. La patronne ayant subtilisé la spécialité d'une jeune cuisinière des rues, cette dernière en appelle à un ami farang (étranger, occidental) pour l'aider à récupérer son poisson au curry qui passe pour être le meilleur de la ville.

Et enfin, Canicule mortelle nous emmène dans les bas-fonds, là où culs-de-jatte et voleurs à la petite semaine, tentent de survivre. Mais certains acceptent des missions qui peuvent être bien plus graves que la simple mendicité. Et tant pis pour les dommages collatéraux.

C'est donc une anthologie de très, très bonne facture.

Pratiquement tous les textes m'ont enchantée, de part leur éclectisme, leur poésie, leur exotisme, leur violence aussi. On perçoit bien les grandes tendances et les traits de caractère qui définissent Bangkok.

Concernant la couverture, elle est pas mal même si je n'aime pas forcément la bouche sanguinolente (en noir et blanc) ajouté à la photo du personnage. Je trouve la couverture originale bien plus neutre […].


Si vous pensez comme moi j'espère que cela ne vous arrêtera pas, car ce qui compte c'est ce qu'il y a dedans et maintenant vous en avez un bel aperçu.

Je m'en suis donc remise à tous ces auteurs qui, le temps de quelques nouvelles, m'ont transportée dans un ailleurs qui m'était totalement inconnu. Mes affinités littéraires asiatiques se limitant au Japon, je n'ai pu apprécier ce recueil que par la curiosité attisée par un éditeur méritant. Je vous encourage à la même démarche en espérant vous avoir aussi intrigués, intéressés, interpellés.

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Sommaire (les * correspondent en toute subjectivité à mes préférences. *** étant le must)

***Christopher G. MOORE Introduction
* John BURDETT Autant en emporte l'Orient (fantôme, mafia, surnaturel, tatouage)
** Stephen LEATHER L'inspecteur Zhang et le meurtre du gangster thaï (avion, énigme, gangster, huis-clos)
** Pico IYER Mille et une nuits (Bangkok, errance, prostitution, transexualité)
*** Colin COTTERILL Crâne-coupé (cauchemar, escroquerie, fantastique, vengeance)
* Christopher G. MOORE Dauphins S.A. (écologie, virtualité)
** Tew BUNNAG Une femme libérée (adultère, chantage, gay & lesbien)
*** Timothy HALLINAN Hansum man (Bangkok, délinquance, nostalgie, vétéran)
** Alex KERR Le jour s'est levé (enquête, journaliste)
** Dean BARRETT La mort d'une légende (coup monté, tueur à gage)
** Vasit DEJKUNJORN L'épée (corruption)
** Eric STONE Bras de fer autour d'une glacière (concurrence, gastronomie, vol)
*** Collin PIPRELL Canicule mortelle (assassinat, précarité, sans abris)

http://www.librairiesoleilvert.com/article-christopher-g-moore-antologie-bangkok-noir-2011-108348990.html
Herveline, juillet 2012.

mercredi 6 février 2013

Pour aller au-delà, bien au-delà du sourire thaï



Fidèle à son esprit pointu, le fondateur des éditions GOPE nous dévoile un aspect méconnu de la Thaïlande, sa face cachée la plus sombre, au travers de douze nouvelles toutes plus noires les unes que les autres.
Et là, plus que des énigmes policières à résoudre, les auteurs évoqueront le plus souvent la spiritualité ambiante, la magie pas toujours bienveillante. A l’image du romancier qui ouvre le bal, John Burdett, auteur de « Bangkok 8 », de ses suites et du récent « Vulture Peak ». Dans « Autant en emporte l’orient », il nous fait vivre les affres d’un homme mal marié, soudainement épris d’une femme ravissante au mystérieux tatouage magique, un sak yant.
De maléfice, il en est aussi question dans « l’épée » où un colonel de police va devoir payer le prix fort pour ses vilaines habitudes de fonctionnaire corrompu.
Dans « Crâne coupé », un sorcier de pacotille va même faire un petit séjour en enfer !
« Bras de fer autour d’une glacière » vous fera comprendre avec une grande finesse les rapports de forces sociaux et les moyens dont dispose le bas peuple pour négocier avec les puissants. Pas question de jouer les gros bras ou de taper sur la table, la manière d’avancer ses pions est bien plus subtile. Tout comme dans « Mort d’une légende » ou la meilleure façon de tirer sa révérence lorsqu’on est un tueur à gages.

Une anthologie à garder dans sa poche et bien en tête, pour aller au-delà, bien au-delà du sourire thaï.

Vendredi 20 juillet 2012 par Emmanuel Deslouis
http://www.eurasie.net/webzine/spip.php?article1092