Éditions GOPE, 240 pages, 13x19 cm, 17.85 €, ISBN 978‐2‐9535538‐8‐8

mardi 24 juillet 2012

Hansum man, Tim Hallinan


Timothy Hallinan est un auteur américain de thrillers. Il vit par intermittence en Thaïlande depuis le début des années 80. En 2007, il a démarré une deuxième série de thrillers, cette fois basée à Bangkok, qui a également été plébiscitée par la critique.

Hansum man raconte l’histoire de Wallace, un vétéran du Vietnam qui a élu domicile à Bangkok après la guerre. Perdu dans les méandres de son esprit rongé par l’alcoolisme et l’âge, il part à la recherche d’un bar et d’une fille d’une époque disparue, dans une mégapole qu’il ne reconnaît plus, inconscient de tous les prédateurs tapis dans l’ombre qui n’attendent qu’un faux pas pour s’abattre sur lui.


© Piyapat Chieovanich
www.flickr.com/photos/pchweat/2627647301/in/set-72157600001308279

Extrait :

La pièce était plongée dans l’obscurité quand il se réveilla, toutefois la fenêtre n’était pas là où elle aurait dû se trouver. Avait-il dormi avec la tête au pied du lit ? Il avait le sommeil léger ces derniers temps, encore plus léger que le drap élimé dont il se couvrait, mais, d’habitude, il ne bougeait pas autant, n’est-ce pas ?
Oh ! C’était le nouvel appartement. Celui dans lequel il ne pouvait se déplacer de nuit sans heurter quelque chose. Pas le compartiment chinois au-dessus duquel il avait vécu de si nombreuses années, dans ces deux pièces au sol en ciment si frais et aux fenêtres aux volets en bois qui pouvaient s’ouvrir manuellement.
Il se redressa en poussant un grognement sourd et s’assit sur le bord du lit. Ses pieds se posèrent sur de la moquette. Et la fenêtre était sur la droite. Ce n’était pas le shophouse alors, mais bien le nouvel appartement. Qu’était-il donc arrivé à son ancien domicile ?
Comme il savait où il se trouvait, il n’eut aucun mal à allumer la petite lampe en laiton du meuble de chevet. La faible lumière qui en émanait lui permit de découvrir une pièce remplie d’ombres, tout juste assez grande pour contenir le lit et la table de nuit adjacente. La large penderie encastrée était ouverte sur un côté, l'une des portes coulissantes était sortie de son rail et appuyée avec un angle malsain contre le mur. Ses vêtements, ou ce qui en restait, étaient pendus un peu n’importe comment, faisant penser à un rassemblement d’oiseaux divers perchés sur un fil de téléphone dans l’attente du moment favorable pour se regrouper par espèces et migrer vers des cieux plus cléments. Comme il avait décidé, il y avait longtemps déjà, de vivre avec la chaleur, le climatiseur, qui était monté de travers dans la fenêtre, brillait par son silence. Après tout, il avait choisi cet endroit pour son climat. La salle de bains était là-bas, de l’autre côté de cette porte crasseuse. Il se dit une nouvelle fois qu’il faudra lui donner un coup d’éponge.
Alors qu’il reprenait ses esprits, toutes les pièces du puzzle se remirent en place. Le shophouse avait été démoli, il y avait bien longtemps, ainsi que le quartier entier, un groupe de petits immeubles de deux ou trois étages en béton noirci par la pollution et la moisissure, reliés entre eux par un entrelacs de fils électriques et construits de part et d’autre d’une rue juste assez large pour le passage d’une voiture. Dans le voisinage, tout le monde se connaissait et on se parlait volontiers, et on riait sans méchanceté de ses tentatives pour converser en thaï. Tous ces bâtiments avaient disparu, réduits en poussière et en gravats.
Qu’est-ce que ça avait été bruyant ! Les engins avaient grondé comme des molosses avant de déchiqueter les immeubles, avec pour seuls témoins quelques habitants des rues voisines dont le regard triste rappelait ceux qui assistent à la crémation de l’un de leurs proches.
Alors qu’il se levait et s’élançait en direction de la salle de bains, il sentit un début d’effervescence sous son crâne. Aurait-il bu avant d’aller se coucher ? Question stupide. Et quelle heure était-il donc ? Cela faisait des semaines qu’il n’arrivait pas à mettre la main sur la Rolex en acier que son père lui avait offerte à son départ pour le Vietnam. Il avait promis à ses parents de la laisser à l’heure de Californie, ainsi, il serait avec eux à chaque fois qu’il la regarderait, mais ça n’avait duré qu’un temps. Idem pour la Rolex ; il avait fini par racheter une contrefaçon dans un marché de rue. Il alluma dans la salle d’eau et la montre clinquante apparut, l’informant qu’il était 22 h 21. Il avait donc dormi toute la journée et même au-delà. Avec la fraîcheur du soir, le Bangkok qu’il préférait venait de reprendre vie.

© Tim Hallinan, 2011
© Éditions GOPE, 2012, pour la version française

© Adrian Callan
Peut-être aurez-vous reconnu l’arrière-plan de la couverture de Bangkok Noir ?
Cette vue panoramique a été prise par Adrian Callan, un cameraman freelance de télévision qui vit à Bangkok. Sa spécialité est la photographie de rue et il a réalisé de très nombreux portraits des différentes personnes que l’on peut croiser aux alentours de soï Nana : www.flickr.com/photos/adrianbangkok

Quelques-unes de ses photos illustrent Trois autres Thaïlande.

2 commentaires:

  1. C'est une des meilleures nouvelles de cette anthologie. Elle laisse une boule à l'estomac.

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  2. C'est une des meilleures nouvelles de cette anthologie. Elle laisse une boule à l'estomac.

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