Éditions GOPE, 240 pages, 13x19 cm, 17.85 €, ISBN 978‐2‐9535538‐8‐8

jeudi 7 mars 2013

Universalité urbaine



Dans le monde actuel tel qu'il est mondialisé, l'on commence à penser que toutes les grandes villes, les mégapoles comme on les appelle, se valent, que la vie trépidante y est la même, que violence, forces de police et mobiles des infractions sont identiques.

D'ailleurs à Bangkok, l'on va retrouver au sein de ces douze nouvelles des thèmes qui se rapprochent des grands thèmes « occidentaux » : corruption des forces de police, amants qui cherchent à se débarrasser des conjoints, tueurs à gages tarantinesques, solidarité des petites gens, lutte peut-être virtuelle contre les grands groupes capitalistes prédateurs des ressources naturelles. Peut-être parce que les auteurs sont majoritairement, au contraire de la collection « Villes noires » des éditions Asphalte (le titre de ce recueil peut prêter à confusion, mais il y a eu une presque même idée originale au même instant en deux lieux distincts avec une ambition artistique plus élargie par le biais d'illustrations en noir et blanc), des Occidentaux. À ce propos, il faut souligner que l'un des auteurs « locaux », un général, signe un texte sur la corruption policière qui ne reflète pas forcément les tendances littéraires en vogue par chez nous. On trouvera également, s'éloignant du « noir » même, en contradiction avec la préface, un texte qui s'installe dans une variation revendiquée du crime en chambre close dans un avion qui arrive à Bangkok. Sans aucun doute, la nouvelle la plus faible du lot, qui s'écarte quelque peu de la thématique car l'avion lui confère un lieu « international » et un suspect israélien…

Ce qui est intéressant et peut-être même étrange, mais montre à quel point la contamination de l'esprit de la ville déteint sur ceux qui l'écrivent, c'est que Bangkok offre une variable dans le monde du roman noir en distillant une dose de fantastique dans les intrigues. C'est ainsi que l'on peut trouver un personnage qui prétend avoir des visions pour aider la recherche criminelle, mais qui comprend bien malgré lui qu'il ne faut pas jouer avec des pouvoirs surnaturels. Ou cette nouvelle qui montre un Occidental travaillant pour une mafia locale et qui est sauvé par l'amour que lui porte un esprit. Dans ces deux nouvelles, le décentrage par le ressort fantastique met encore plus en valeur l'exotisme du décor. Enfin, dans une autre, le personnage central vit une aventure kafkaïenne dans les rues de la ville où il est pourchassé par des petits voyous et sauvé par une prostituée. Le fantastique peut aussi parfois être uniquement basé sur l'étrangeté de la situation avec un récit qui s'achève sans véritable résolution du crime mais c'est peut-être dans l'ordre naturel des choses, ou dans un ultime texte où le contraste entre les activités d'un tueur à gage dans sa journée et les pensées prosaïques sur sa vie quotidienne se télescopent contradictoirement.

Malgré des auteurs différents, servis par des traducteurs différents, malgré la variété des thèmes abordés, l'étrangeté naît aussi pour nous, d'une unité de l'ensemble, des récits d'où parviennent à surgir les odeurs, le grouillement et les images que nous associons inconsciemment aux grandes villes asiatiques.

[…]

Citation
« Le citron atterrit six mètres plus bas, dans la cave : machinalement et sans effort, Mae Nak tendit le bras pour le ramasser. Son mari, bien en chair et en os lui, comprit à ce moment-là qu'il vivait avec un fantôme et prit peur. »

Laurent Greusard, mardi 18 décembre 2012
http://www.k-libre.fr/klibre-ve/index.php?page=livre&id=2590

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