Éditions GOPE, 240 pages, 13x19 cm, 17.85 €, ISBN 978‐2‐9535538‐8‐8

jeudi 7 juin 2012

Dauphins S.A., Christopher G. Moore


Christopher G. Moore, originaire du Canada, vit en Thaïlande depuis plus de vingt ans. Écrivain prolifique, il est aussi éditeur chez Heaven Lake Press (Bangkok). Moore est l’auteur de la série de romans policiers Vincent Calvino, dont seul Zéro heure à Phnom Penh a été traduit en français. Spécialiste du «hardboiled», il s'essaie avec Dauphin S.A. au «cyberpunk» ; si vous avez aimé Matrix, Inception, ou Tron, vous ne serez pas dépaysés.

Inspiré de l'action réelle de l'activiste écologiste Paul Watson – ou écoterroriste selon les opinions -, qui, avec son navire Sea Shepherd, lutte contre la pêche des cétacés, cette nouvelle commence par une tentative d'assassinat…
© Babak Fakhamzadeh
www.flickr.com/photos/mastababa/2354500533/in/pool-48849839@N00
www.babakfakhamzadeh.com
Extrait :

Un frisson parcourt l’assistance à la vue du sang qui gicle de dizaines de dauphins massacrés, éventrés, leurs chairs poignardées, lacérées, tranchées par les villageois. Tanaka se met soudain à hurler en japonais. Quelques hommes du premier rang se précipitent vers l’écran pour le camoufler de leurs corps imposants. D’autres se ruent vers la cabine de projection, au fond de la salle. Chinapat les entend jurer dans leur langue.
« Mesdames et messieurs, notre film a été saboté. Ceux qui haïssent le Japon ne reculent devant rien pour nous nuire. Ce que vous voyez là est un exemple de l’impérialisme culturel anglo-saxon. Ils cherchent ainsi à s’ingérer et à détruire nos traditions. Ensemble, nous devons lutter contre ces gens. »
Les Japonais dans l’assistance applaudissent. Quelques secondes après, ils sont même debout pour ovationner Tanaka. C’est son heure de gloire. Il va même jusqu’à sourire avant de s’incliner devant l’assemblée. Ses hommes ont du mal à pénétrer dans la cabine de projection, la porte étant verrouillée de l’intérieur.
« Au Japon, nous nous soumettons au principe de consommation durable. Les dauphins sont une ressource renouvelable. »
Chinapat a le regard rivé sur la scène, hypnotisé par la mer de dauphins morts ou agonisants qui ondule sur les visages et les torses des hommes-écrans qui se tiennent épaule contre épaule comme s’ils avaient répété cette formation. La couleur écarlate de la baie lui rappelle celle du Fanta à la fraise, l’une de ses boissons préférées étant enfant. Dans les autres rangées, l’heure est à la consternation et à la colère. Les femmes sont horrifiées par le spectacle de ces pêcheurs auparavant si humbles et qui désormais massacrent allègrement les dauphins. Elles sont soudainement en proie à un émoi de groupe comme le serait une volée d’oiseaux ayant repéré les rondes menaçantes d’un rapace. Elles ravalent leur salive bilieuse alors que la rumeur d’un dégoût teinté de désespoir monte.
La bande s’arrête enfin. Les hommes qui cachaient l’écran s’en retournent à leurs sièges. D’autres sortent de la cabine de projection, y abandonnant l’un des leurs pour qu’il garde un œil sur le projectionniste. 
Après s’être excusé pour l’interruption et avoir promis des poursuites, Tanaka reprend son discours : « Ce que vous venez de voir est l’œuvre de terroristes. »
Une partie considérable du public lance des vivats. Parmi ceux qui applaudissent, Chinapat en aperçoit plusieurs qui n’ont plus d’auriculaire, ce qui ne les empêche pas de faire autant de bruit que les autres. Au même instant, une séduisante jeune Thaïlandaise à la crinière noire, zébrée de mèches rouges, pénètre dans la salle par l’une des portes latérales. Ne faisant guère plus de dix-sept ou dix-huit ans, elle porte une minijupe moulante avec une chemisette d’un blanc éclatant, aux boutons si reluisants qu’on dirait des médailles militaires. Elle s’avance droit vers Chinapat et s’assoit à côté de lui.
« Je sais qui tu es, lui dit-elle. J’ai un message pour toi.
Il ne la reconnaît pas tout de suite.
— Tu dois me confondre avec quelqu’un d’autre, petite sœur, répond-il.
— C’est un piège, poursuit-elle, fixant la scène des yeux. On s’est fait berner.
— Ce n’est pas mon interprétation, dit-il.
Seven, c’est son nom, s’attendait à être contredite.
— C’est parce que tes calculs sont faux à partir du point 4.
Il parcourt la séquence du début à la fin.
— Merde, tu as raison, admet-il bouche bée. Comment est-ce possible ?
Elle se penche vers lui et murmure :
— Tu étais pressé. Maintenant, nous n’avons plus beaucoup de temps. Mais je vais nous tirer de là. »

© Christopher G . Moore, 2011
© Éditions GOPE, 2012, pour la version française


Coup de projecteur sur le traducteur :

Jérôme Bouchaud vit depuis neuf ans en Asie. Il a écrit et contribué à une dizaine de guides du Petit Futé pour l'Asie du Sud-Est et il est aussi l'auteur de Malaisie, modernité et traditions en Asie du Sud-Est.
Il a traduit Trois autres Malaisie, paru aux Éditions GOPE.

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